Freitag, 16. Dezember 2011

Nouvelle vague d’arrestations en Turquie / Guillaume Perrier

 
LE MONDE | 2 novembre 2011 | Guillaume Perrier | 637 mots
Les défenseurs des droits de l'homme dénoncent les excès de la lutte antiterroriste.
Cet article du Monde est également repris sur le Blog de Guillaume Perrier (Au fil du Bosphore), sous le titre Les dérapages en série de la lutte antiterroriste en Turquie
Après soixante heures de garde à vue, Ragip Zarakolu a été inculpé et incarcéré à Istanbul, mardi 1er novembre, pour "appartenance à une organisation terroriste". Un retour brutal à la case prison pour cet éditeur et militant des droits de l’homme de 63 ans, arrêté une trentaine de fois et coutumier des procès absurdes.


En 1971, il avait été emprisonné pendant cinq mois pour «des liens secrets avec l’ONG Amnesty International ». Puis à deux ans de prison pour un article sur la guerre du Vietnam. Fondateurs de la maison d’édition Belge, Ragip Zarakolu et sa femme, Aysenur, décédée en 2002, ont été poursuivis, souvent condamnés, pour avoir publié des écrits de prisonniers politiques, des ouvrages sur le génocide arménien, sur les Kurdes, ou encore une anthologie de poésie chypriote-grecque.

Cette fois, M.Zarakolu paye son engagement contre la « sale guerre» qui sévit entre la Turquie et la guérilla du PKK (parti des travailleurs du Kurdistan). Il est soupçonné, comme 43 autres personnes, d’appartenance au KCK(Union des communautés kurdes), la branche civile et clandestine du PKK, que la justice turque s’est mise en tête de démanteler. Son fils, Deniz, étudiant et éditeur, avait été arrêté début octobre à Istanbul.

Plus invraisemblable est l’arrestation de la constitutionnaliste Büsra Ersanli, qui participait aux consultations sur la future réforme de la Constitution. «Elle est l’une des premières à s’être attaquée au sujet de la fabrication d’un récit historique entièrement tourné vers la glorification du peuple turc»,précise l’historien Etienne Copeaux.

En attendant leur procès, au mieux dans un an, les accusés resteront en prison.

Cette nouvelle vague d’arrestation jette le trouble sur la procédure hors normes du KCK, lancée en avril 2009 et qui a conduit à environ 8000 gardes à vue et 4000 inculpations. Chaque semaine, des dizaines de noms viennent s’ajouter à la liste. «Demain, c’est à notre porte qu’ils peuvent sonner, il n’y a plus de justice», clamait lundi, Sebahat Tuncel,députée du parti kurde légal, le BDP (Parti de la paix et de la démocratie),devant le tribunal d’Istanbul.

Ont déjà été incarcérés cinq députés, dix maires élus et des dizaines de responsables locaux du parti kurde… Les procès abusifs se sont multipliés. Une femme illettrée a été condamnée à sept ans de prison pour avoir brandi une banderole favorable au PKK. Des centaines d’enfants pour avoir jeté des pierres sur la police…

Pour le politologue Ahmet Insel, «le premier ministre a adopté une stratégie d’éreintement du PKK, juste après les municipales de 2009, frustré de ne pas être sorti vainqueur contre le BDP. Depuis, mentors et partisans de cette stratégie mènent un bombardement de propagande [qui] vise à nettoyer le champpolitique de tous les “Kurdes hypocrites” et de ceux qui les soutiennent. Police, justice et médias y travaillent main dans la main».

35000 personnes inculpées

Cette offensive s’inscrit dans une tradition tenace. La Turquie détient le record mondial d’inculpations pour terrorisme. Selon l’agence AP, auteur d’une étude sur une décennie de «guerre mondiale contre le terrorisme», plus de 35000 personnes ont été inculpées dans le monde, dont 13000 pour la seule Turquie.

La majorité de ces condamnations concerne des militants kurdes, mais plus récemment, des dizaines de militaires et d’opposants à l’AKP (parti islamo-conservateur, au pouvoir) ont été emprisonnés. Des manifestants contre la construction d’une centrale hydroélectrique ou des étudiants interrompant un meeting pour réclamer «un enseignement gratuit » ont été lourdement condamnés.

La Turquie détient enfin le record du nombre de journalistes incarcérés : près de 60. «Aucun pour leurs écrits, tous pour des dossiers de terrorisme», tente de justifier Egemen Bagis, le ministre des affaires européennes. La loi permet par exemple au parquet de Diyarbakir de poursuivre le journaliste Recep Okuyucu, pour s’être connecté au site de l’agence de presse Euphrate, proche du PKK, dont l’accès est interdit en Turquie.

La couverture de manifestations et l’accès aux sources peuvent être criminalisés.«Les journalistes sont soumis à une pression qui équivaut à l’époque où l’étatmajor dictait la ligne », constate Erol Önderoglu, correspondant de Reporters Sans Frontières.

Guillaume Perrier

Cet article du Monde est également repris sur le Blog de Guillaume Perrier (Au fil du Bosphore), sous le titre Les dérapages en série de la lutte antiterroriste en Turquie


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Source/Lien : Le Monde

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