Freitag, 16. Dezember 2011

Arrêter des intellectuels, c'est indigne

Quarante-quatre personnes, pour la plupart des intellectuels accusés de liens avec les rebelles kurdes, ont été arrêtées ces derniers jours. Le quotidien Milliyet dénonce ces pratiques, contraires à la démocratie et à la liberté d’expression. 02.11.2011 | Hasan Cemal | Milliyet
L'éditeur Ragip Zarakolu, récemment arrêté par les autorités turques.
L'éditeur Ragip Zarakolu, récemment arrêté par les autorités turques.

Les libertés fondamentales et les droits de l'homme ont été constamment bafoués chez nous sous prétexte de lutte contre le communisme, le fondamentalisme musulman, le séparatisme [kurde] et le terrorisme. Et ils continuent de l'être. La liberté d'expression est l'une des conditions indispensables à l'instauration d'une véritable démocratie.
Si la Turquie est encore aujourd'hui une démocratie de seconde zone, c'est principalement parce que cette liberté y est entravée. En s'appuyant sur plusieurs articles du code pénal, l'Etat a pendant des années sanctionné durement et envoyé derrière les barreaux écrivains, caricaturistes, journalistes et politiques.

Ainsi, pendant des années, les articles 141 et 142 ont puni l'adhésion aux thèses communistes et séparatistes, tandis que l'article 163 réprimait les "activités contraires à la laïcité". Quant aux articles 311 et 312, ils sanctionnaient ceux qui "[encourageaient] la population à la révolte". Si vous portez "atteinte à la personne morale de l'Etat ou du gouvernement", l'article 159 vous envoie tout droit en prison. A la fin de la guerre froide, en 1991, estimant que les articles 141, 142 et 163 commençaient à faire honte au pays, les autorités turques ont décidé de les supprimer du code pénal. Sauf que la loi antiterroriste promulguée au même moment a continué de porter des coups à l'exercice de la liberté d'expression, le plus souvent sous prétexte de séparatisme.

Est arrivé ensuite l'article 301 [condamnant les atteintes à la "turcité" et dont le journaliste turco-arménien Hrant Dink, assassiné en 2007, fut l'une des principales victimes]. Cet article, qualifié pas plus tard que la semaine passée d'"ennemi de la démocratie" par la Cour européenne des droits de l'homme, a été particulièrement liberticide pendant les années 2000 et l'est encore aujourd'hui [malgré la révision dont il a fait l'objet].

J'écris tout cela parce qu'il y a quelques jours l'éditeur Ragip Zarakolu* s'est fait arrêter dans le cadre d'une opération policière visant le KCK [organisation considérée comme faisant le lien entre le PKK et le parti prokurde BDP]. Ce même Ragip Zarakolu qui depuis les années 1970 subit les affres de tous ces articles liberticides. Cet intellectuel qui a toujours combattu les interdits et les tabous. Ce militant des droits de l'homme qui, par les livres qu'il a édités, a fait la lumière sur nos tragédies et sur les origines du totalitarisme chez nous. Comme me le disait un intellectuel kurde, "il n'a de cesse de prouver que les Kurdes existent dans ce pays et que les Arméniens y sont morts".

Si les tabous sur le massacre – ou le génocide – des Arméniens, en 1915, ou sur cette question kurde qui retarde les progrès de la démocratie dans notre pays, ont été un tant soit peu brisés, c'est notamment à lui qu'on le doit. Cet individu, qui a déjà connu la prison et la torture, a été l'un de ceux qui ont brisé le silence par rapport à ces tabous, ce qui n'était pas chose facile à une époque où tout le monde se taisait.

Je dénonce le placement en garde à vue de Ragip Zarakolu, celui de son fils Deniz Zarakolu [arrêté début octobre], et celui du Pr Büsra Ersanli. Je pense que ces opérations retardent l'instauration de la paix et de la démocratie.
Note :* Ragip Zarakolu a notamment fait publier par Belge (c'est le nom de sa maison d'édition) la traduction en turc d'ouvrages sur le génocide arménien.
http://www.courrierinternational.com/article/2011/11/02/arreter-des-intellectuels-c-est-indigne

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